Le club Esprit d’Entreprises se distingue par sa liberté de ton et la qualité de l’atmosphère de ses réunions. Invitée le 11 septembre par Hervé de Montlivault, dynamique Président du Directoire du Crédit Suisse, j’ai eu la chance d’être assise à côté de Diaa Elyaacoubi, sa fondatrice. Spécialiste de télécommunications, PDG de Streamcore System, elle est pétillante et efficace. Ses questions ont amené Patrick Ricard, l’invité de ce dîner-débat, à se livrer sans langue de bois.
A la question incontournable "Est-il difficile, très difficile ou extrêmement difficile de succéder à son père ?" Patrick Ricard répond par une pirouette : "Mieux vaut succéder à quelqu’un plutôt qu’à personne". Il précise qu’il a succédé à Monsieur Aymar et non à son père (surnommé "Jupiter" dans l’entreprise).
Patrick Ricard laisse croire que son itinéraire fut facile, lui qui a arrêté ses études en troisième et qui n’était pas le fils choisi initialement par Paul Ricard pour lui succéder, ce qui prouve son intelligence et son humour. Nous savons qu’il est entré dans l’entreprise Ricard en 1967 et qu’il a occupé des postes dans toutes les fonctions de l’entreprise avant de se voir confier les commandes du groupe en 1978. Il ajoute avec humilité : "Le succès, c’est celui de tout le monde, de la chaîne d’embouteillage à moi-même."
Les questions viennent en cascade et les réponses sont aussi directes.
Au fil des centres d’intérêt des participants, il aborde le sourcing, le blanchiment d’argent, la gestion des filiales, pas de langue de bois !
- Le sourcing ? : "oui, le sourcing est un enjeu, notamment en Champagne, où les marques, devant cette contrainte de volume, doivent absolument se hisser vers le haut de gamme."
- Le blanchiment d’argent ? : "oui, les contrôles concernant les mouvements financiers sont particulièrement pointus pour tous les groupes internationaux et tant mieux."
- La liberté des filiales ? "oui, elles ont celle de réaliser leur budget !" répond-il avec malice, "la dernière ligne étant bien sûr plus importante que celle du volume." Les moyens à mettre en œuvre pour le développement de la marque (image, présence, promotion) sont déterminants, et chaque directeur de filiale est de leur répartition annuelle. Patrick Ricard souligne que la communication se doit d’être éthique, et que le groupe Pernod-Ricard a établi à cet effet une charte traduite dans toutes les langues.
Je note que Patrick Ricard parle de ses managers en utilisant le mot "entrepreneurs", c’est un signe !
A la question "quel est le produit qui vous a le plus séduit récemment ?": il répond : "un qui n’est pas du groupe, la vodka Grey Goose, élaborée à Cognac, dont le développement a été absolument extraordinaire". Qui en effet s’attendait à ce que le plus grand succès en matière de vodka depuis Absolut voit le jour à deux pas de chez nous ?
A propos de la vodka Absolut, nous avons admiré la détermination avec laquelle Patrick Ricard a remporté au printemps l’achat de V&S devant trois concurrents, et surtout la maestria avec laquelle il a su communiquer sur cette importante acquisition, dont le prix vaut bien les atouts qu’elle va apporter au groupe.
De plus en plus de locaux à la tête des filiales (peu, trop peu de femmes encore !) Finlande, Bulgarie, UK, Vietnam… Et pour Patrick Ricard, les Français aiment bouger, travailler à l’étranger, contrairement aux idées reçues.
Mondialisation : Patrick Ricard souligne le succès du vin australien, où désormais son groupe fait autorité. Il raconte l’aventure de Jacob’s Creek, de l’origine du vignoble planté en 1847 dans la Barossa Valley jusqu’aux 90 millions de bouteilles vendues chaque année dans le monde.
Quid des open bars, des jeunes ? Comment concilier rentabilité et responsabilité ? Selon l’étude IREB, la consommation des jeunes baisse. Pour Patrick Ricard, tout passe par l’éducation. Il déplore l’éclatement de la cellule familiale et la déstructuration des repas.
En conclusion, Patrick Ricard nous annonce son départ cette année ("j’aurai mes 40 années de cotisations !"). Il cèdera sa place au directeur général adjoint Pierre Pringuet et se consacrera à d’autres passions. Dommage et bravo !
Au fait, à quand une femme pour diriger Pernod Ricard ?
Car si je ressors de ce dîner indéniablement sous le charme de ce charismatique entrepreneur, j’ai aussi noté dans son intervention, allez... disons un minuscule zeste de misogynie... Patrick Ricard déclare ne pas rechercher la parité et il pense "difficile pour une femme d’être à la tête des entreprises dans ce milieu, n’est-ce pas ?", comme il me glisse malicieusement.
Un point de vue largement partagé en effet chez les messieurs, mais qu’en penseraient Dominique Hériard Dubreuil, Cécile Bonnefond, Cécile Amory et bien d’autres ? Je note que les idées ont toujours du mal à évoluer dans les conseils d’administration ; on en reparlera sur le blog à l’occasion du Women’s Forum d’Aude de Thuin.
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